Les cérémonies d’Ayahuasca sont habituellement tenues la nuit et durent jusqu’à ce que les effets de l’Ayahuasca aient disparu. Après la préparation et la bénédiction de l’espace par le chaman qui dirige la cérémonie, l’Ayahuasca est offerte aux participants. Nous pouvons reprendre une dose au bout de quelques heures pour continuer le processus. Ce que je n’ai jamais fais.
Première cérémonie – Ma rencontre avec la Madre – Je suis impatiente et en même temps stressée par l’ouverture de la retraite. Le chaman qui nous accompagne lors de la première cérémonie s’appelle John. Il est assisté de deux assistants musiciens. Il semble nonchalant comme s’il était dans son jardin à fumer son cigare dans son hamac. Je suis étonnée de le voir fumer alors que moi je me suis efforcée de laisser derrière moi ma cigarette électronique. Mais a priori cela ne dérange personne qu’un chaman fume son cigare juste avant une cérémonie. La cérémonie a lieu dans une maloca, grand espace très haut en bois, soutenu par 4 piliers en forme de cercle. On s’y installe tous, un matelas ultra fin posé au sol sur des graviers, notre sac de couchage respectif, un petit oreiller et une couverture en complément. Un feu crépite au centre de la maloca. Le chaman nous souhaite la bienvenue et nous remercie d’être présent à cette cérémonie et déclare la « séance ouverte ». Les uns après les autres, nous nous levons pour boire le breuvage préparé par lui qui est une Ayahuasca crue, alors que d’ordinaire, l’Ayahuasca est cuite dans de l’eau pendant plusieurs jours. Tout le monde m’avait prévenu du goût immonde du breuvage. Et pourtant, quand je trempe mes lèvres pour la première fois dans ce liquide clair jaunâtre, je le savoure, je l’accueille et le remercie pour le travail que nous allons effectuer ensemble. Certaines personnes invitent à prononcer une intention particulière, d’autres à laisser faire la plante qui sait exactement ce dont nous avons besoin. Pour ma part, je lui demande tout simplement de me montrer ce qui m’empêche de me sentir en vie sur terre et d’y trouver mon plein épanouissement. Les premiers effets de la plante arrivent environ trente minutes après l’absorption du breuvage. On m’a conseillé de rester assise le temps de digestion. Ce que je fais. Une sensation de nausée désagréable commence à se faire ressentir. Je sais que la plupart des gens vomissent pendant les cérémonies d’Ayahuasca, alors je m’attendais bien évidemment à purger de cette façon. Mais rien ne vient à part cette foutue nausée. Une des participantes se met à pleurer assez fort. Je m’approche du bord de la maloca pour pouvoir purger si jamais mes nausées se transforment en vomi. Alors que dans la plupart des livres, les expérienceurs disent qu’ils ont un seau près d’eau pour vomir, nous n’en avons pas ici et il nous faut le faire dans l’herbe. Rien ne vient, sauf une voix que j’entends au creux de mon être qui me répète : « Gaelle, entre dans ton émotion », et ce, à plusieurs reprises. Quelle émotion ? Je ne ressens rien, à part cette foutue envie de vomir très désagréable. « Entre dans ton émotion ». Encore une fois. Alors je me dis que peut être en entrant à l’intérieur de moi, je pourrais y rencontrer cette émotion qui me rend nauséeuse. Pour avoir été thérapeute pendant quatre ans et ayant amené régulièrement mes patients à entrer en contact avec leur émotion, j’ai les outils. Je m’intériorise complètement et je pars à la rencontre de moi même. ET sans que je ne comprenne quoi que ce soit, des larmes sorties de nulle part jaillissent. Je pleure, je pleure et je pleure. Sans pouvoir m’arrêter. Et la Madre commence à m’expliquer certaines choses et me montre notamment le fait que j’ai très peur de faire confiance à l’autre. Elle me demande de faire une place significative dans ma vie aux autres et me dit que je n’ai pas tout porter toute seule sur mes épaules. Qu’être soutenue et accompagnée dans mes projets est important pour se sentir unie à la vie. Et plus elle me montre comment j’éloigne les autres de ma vie par peur d’être trahie et déçue, et plus je pleure. Je n’arrive pas à aller dans cette peur de l’autre. Je la rejette. Mais je la vois. A un moment donné, j’ai besoin de crier, mais je ne me vois pas le faire entourée des 15 autres personnes présentes. Alors je me lève en titubant et sors de la maloca, les pleurs continuant de m’accompagner. Dans l’obscurité de la nuit, j’entraperçois une chaise qui n’attend que moi. Je vais m’y asseoir pour continuer mon process. J’entends la musique au loin, les pleurs, les rires, les chuchotements des autres participants, mais tout ce bruit me paraît loin. Alors, je crie. je crie ma rage. Je crie mon impuissance. Je crie mon sentiment d’injustice. Je crie toute ma vulnérabilité que je cache sous une tonne de carapaces. Je crie. Et la Madre continue de me montrer des évènements de ma vie, des choix fais par peur, avec une telle bienveillance et une telle ingéniosité dans sa manière de m’amener à comprendre ma réalité. A plusieurs reprises, je lui dit que c’est une génie ! Tellement la façon d’aborder les choses est faite avec douceur et en même temps sans détour. Elle me montre mon impuissance face à la maladie de ma mère. Elle me rassure en me disant que ce n’est pas à moi de sauver ma mère et que d’ailleurs je ne peux sauver personne. C’est bien entendu quelque chose qui intellectuellement était compris dans mon esprit mais pas dans ma réalité inconsciente. Je ressens toute la pression que je me mets continuellement pour « sauver » autrui. Quelque chose se libère en moi. J’hurle à nouveau pour faire sortir toutes ces émotions cristallisées d’impuissance et d’injustice. Soudainement, je suis frigorifiée. J’exprime à haute voix : »J’ai très froid » à plusieurs reprises en ayant une posture fœtale sur ma chaise. Je comprends que je fais une régression à ma naissance. J’entends les infirmières, les médecins autour de moi. La luminosité de l’hôpital m’éblouie. Je me sens perdue et abandonnée. Je me sens ballotée de bras en bras en étant nue. La chaleur de la matrice maternelle me manque. Je pleure cette séparation violente. Et en même temps, je ressens une réconciliation avec mon incarnation terrestre. Néanmoins, j’ai l’impression de ne pas réussir à lâcher complètement. Dès que la Madre me parle, un sourire s’affiche sur mon visage comme si elle était en moi et prenait possession de mon corps. Je l’écoute mais j’oublie ce qu’elle me dit. Plusieurs fois, je lui demande de répéter, mon cerveau n’intègre pas ses mots, j’ai peur de ne plus me souvenir. Elle me rassure en me disant que chacun de ses mots ne sont rien d’autres que les mots de mon âme et maintenant qu’ils ont été entendu par mon conscient, ils sont dans mon énergie. Elle me libère de mon sentiment d’insatisfaction permanente, en travaillant à l’intérieur de mon corps. Elle travaille particulièrement sur ma vessie, j’ai l’impression que ca dure des heures. J’ai soudain envie d’aller aux toilettes et elle me demande de me faire pipi dessus. Avec véhémence, je refuse catégoriquement en lui disant que je ne peux pas, qu’après je serai toute mouillée, que le processus est loin d’être terminé. Je me dis qu’il faut que je me lève pour aller aux toilettes, mais je n’arrive pas à bouger. Elle me répète : « Fais pipi sur toi ». une deuxième fois, je rejette sa proposition et surtout je me rends compte que lorsque j’ouvre les yeux je n’ai pas du tout envie de faire pipi. Je ne comprends pas. Je referme les yeux et je la sens vraiment travailler sur ma vessie. Abandonne toi, me dit elle. Abandonne toi complètement. Je refuse et je réussis tant bien que mal à me lever. Je rejoins les toilettes. Pas grand chose ne sort mais je me sens soulagée. Je retourne à ma chaise. Et le processus continue. Je sens mon corps qui se balance d’avant en arrière. Elle me demande de mettre mon dos droit. Quand je sens qu’il y a un peu de répit, je souffle. Et à peine ai je eu le temps de reprendre ma respiration que la Madre ouvre un autre tiroir. Je me sens tellement fatiguée. J’ai l’impression que c’est sans fin, que ca se terminera jamais. Entre pleurs et rires, entre prise de conscience et incompréhension, entre lâcher prise et résistance, entre peur et amour, tout est là, se mélangeant, fusionnant, se divisant. Les informations vont très vite. Je crie encore. Les chamans viennent me faire un soin. Vincent me donne de l’eau, je sens que c’est lui et je lui dit que je n’arrive pas à lâcher. Il me répond que c’est très bien et que je dois faire confiance à la plante. Cette phrase m’a permis de sortir de mes torpeurs et d’accueillir l’amour de la Madre. Je me sens soudainement enveloppée par ses lianes, comme si j’étais dans ses bras. Elle me berce. Elle me rassure. Elle me félicite. Elle me dit qu’elle m’attendais et qu’elle est honorée de m’accompagner. Je commence à comprendre son fonctionnement. C’est très confrontant ce que je suis en train de vivre mais en temps je suis dans un état de sérénité. C’est à la fois difficile et facile, lourd et léger. La Madre me montre le chemin de mon coeur. Elle m’apprend comment entrer à l’intérieur de moi. Vraiment. Pas en faisant semblant ou en croyant le faire. Non, elle m’installe en moi. Dès que mon mental se met en route, elle se tait. Dès que je suis dans mon coeur, elle me parle. C’est tellement magique. Le process se termine quand je sens un grand sourire intérieur s’illuminé. Je peux aller dormir après 6 heures de travail acharné.
2ème cérémonie – Une pause d’intégration – Cette cérémonie est également orchestrée par John qui nous propose à nouveau son Ayahuasca crue. Pour le moment, c’est mas seule expérience avec la saveur de l’Ayahuasca et je peux vous dire que son nectar est délicieux. Après la nuit précédente que je viens de vivre, j’espère un process plus calme. Je me sens fatiguée par le travail réalisé la veille et le peu d’heures de sommeil. A la prise du breuvage, je demande à la plante de me permettre l’intégration de la dernière cérémonie avec douceur. Et c’est ce qui se passe à mon plus grand plaisir. Je m’assois sur mon matelas en attendant les effets. Alors qu’à côté de moi, ça vomit, ça pleure, ça gigote, je reste bien droite les yeux rivés sur le feu. Au bout d’une heure, je me dis qu’il faut peut être que je ferme les yeux pour que le process se mette en route. Alors je les ferme et là je sens une forte nausée comme jamais je n’ai eu. Je me dirige précipitamment vers le bord de la maloca et je vomis « tout mon soûl ». A chaque purge, je vois ce que j’extrais de mon corps : la peur de ne pas être à la hauteur, la peur d’être qui je suis, la peur d’aimer et d’être aimé, la peur de me montrer. Quatre purges en 5 minutes chrono. J’ai à peine le temps de reprendre ma respiration. Une fois que c’est fait, je me sens mieux. Je m’allonge et je sens la plante qui travaille au niveau de mon corps physique et notamment au niveau de mon utérus. Mais également au niveau de mon plexus solaire et de mes poumons. Je la laisse faire, c’est doux. Je n’ai pas forcément de visions mais je sens que c’est la suite physique de ma séance de la veille qui était plus psychologique et émotionnelle, comme une guérison de toutes les prises de conscience qui ont eu lieu. Je m’endors assez vite. Enfin, je crois.
3ème cérémonie – La nuit de la terreur – Je suis en confiance pour cette troisième cérémonie. J’ai même hâte. Je ne sais pas ce qui m’attend mais je suis comme excitée. Nous allons découvrir un nouveau chaman qui s’appelle Oscar et qui est originaire de la Tribu Los Pastos, groupe ethnique indigène vivant dans le sud de la Colombie. Le chaman est toujours accompagné de deux assistants. Oscar et ses acolytes sont des guérisseurs avec une énergie extrêmement douce travaillant particulièrement pour amener la joie et l amour dans le cœur de chacun. Sauf que pour sentir la joie et l amour dans son cœur, il faut se libérer de tout ce qui empêche ces énergies de circuler. Quand je parle de joie et d amour, ce ne sont pas que des mots ou que de simples ressentis rapides, mais la véritable authenticité de ces états d être. Un état de présence. Je vis la plus dure cérémonie de tout mon séjour. La Madre m a amenée dans LA peur de qui je suis. Comment est ce possible d avoir aussi peur de sa propre lumière ? Cela me paraît insensé et pourtant. Avec Oscar, il y un ordre pour boire le breuvage : d’abord les hommes puis ensuite les femmes. J’avais toujours lu cela dans les témoignages que j’avais lu. Je crois que c’est par rapport à une croyance ancestrale selon laquelle l’énergie des hommes protège celle des femmes. Les hommes se lèvent donc les uns après les autres, puis les femmes. Le breuvage préparé par Oscar est différent de celui de John car il est préparé selon la recette traditionnelle, l’Ayahuasca est cuite avec la Chacruna pendant un laps de temps qui peut varier de 24h à 72h. Il a une couleur de goudron et une texture assez épaisse. Quand je le bois, je ne le trouve pas dégoûtant contrairement à beaucoup d’autres. Oscar nous sert un verre d’eau après la prise pour se rincer la bouche et faire passer le goût particulier de sa préparation. A nouveau, je m’installe sur mon matelas et je patiente. J’ai l’impression pendant la première heure qu’il ne se passe pas grand chose, juste une sorte d’agacement vis à vis des autres participants qui semblent être dans une certaine euphorie. L’un des gars se met à crier à tue-tête : « Merci Mesdames, Merci Mesdames, Merci Mesdames ». Une des participantes se met à crier : « Gracias a la Vida » suivie d’une rire tonitruant qui m’énerve. Je regarde tous ces gens et je les trouve complètement fous. J’en fais part à ma voisine d’un ton assez tranché. Elle me demande si elle peut m’aider et je lui réponds sarcastiquement : « Non, j’ai pas besoin d’aide, surtout pas de toi qui crie Gracias a la Vida à tout bout de champs. Tu es aussi folle que les autres ». Elle me répond : »C’est bien, ta colère sort! ». Sans s’en rendre compte, elle venait de me rendre un grand service. Je vais pour lui répondre une litanie « agressive » mais je me tais et me tourne vers moi. Je constate en effet que je suis en colère. Très en colère. Et que le process a déjà commencé. En rentrant dans cette colère, je me mets à pleurer. Ca tangue tout autour de moi. Quand j’ouvre les yeux, j’ai la nausée, l’environnement se déforme. Tout m’agace. Je ne sais pas ce que je fais ici. Une subite envie de vomir m’assaille, je purge comme jamais. Et je vois que l’herbe et vivante et se nourrit de mon vomi. je me sens pas bien. Je commence à suer. Je me lève pour aller trouver Vincent et Ismaël, nos deux accompagnateurs, et seules personnes en qui j’ai confiance en cet instant. J’arrive à leur niveau et d’une regard pétrifié (j’imagine), je lâche en pleurant : Vincent, j’ai très très peur ! Il me prend dans ses bras, essaie de me rassurer mais il n’y a rien à faire. Je suis pétrifiée. Les gens qui sont présents dans la maloca sont des zombies vivants pour moi, je me sens enfermée comme prise au pièce dans une toile d’araignée. Vincent demande à Ismaël de me faire un soin mais je ne veux surtout retourner sur mon matelas. Il me faut à tout prix sortir de là. j’agrippe Ismaël aussi fort que je peux, je ne veux pas qu’il me lâche, je me sens étrangement en forte insécurité, je veux sortir de la maloca, m’éloigner de ce monde d’horreur, les cris des autres participants entrent en moi comme des épines. Je transpire à grosses gouttes. Je bégaie. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Ismaël passe le relais à Virginie, une autre accompagnatrice, qui me parle tout doucement pour essayer de m’apaiser mais je sens bien que tant que je serai à l’intérieur de la maloca, je continuerai d’être pétrifiée. Elle décide de me sortir de ce lieu et elle m’invite à m’assoir à même le sol pour être en contact avec la terre. Je continue de trembler de peurs, j’ai l’impression d’avoir 40 de fièvre, je pose mes mains sur la terre en demandant à la Terre, comme me le conseillait Virginie, de l’aide pour traverser cette peur viscérale et en faisant confiance à la plante. J’appelle l’énergie de la terre de mon cœur meurtri et je vois immédiatement une lumière plutôt jaune lumineuse qui vient m’envelopper. Je ressens l’amour de la terre et je commence à voir les lumières de ce qui m’entoure, celles des végétaux et des êtres humains. Ma peut est toujours la, je tremble encore, mais parallèlement la beauté de la vie m’apparaît en couleurs. Alors, je m’accroche à toutes ces couleurs pour donner moins de force à ma peur. Le chamane vient me voir pour m aider dans mon process et me dit que toutes les couleurs que je vois sont les couleurs de mon âme. Que je ne dois pas en avoir peur mais accueillir cette beauté juste pour ce qu’elle est. C’est magnifique mais je reste tout de même longtemps coincée dans cette peur. Je me concentre sur ma respiration et sur cette lumière que je vois remonter de la terre pour reprendre petit à petit conscience de mon être. Conscience de mon corps. Conscience d être ici. La Madre ne cesse de me répéter que je dois rester centrer ici et non pas laisser ma conscience partir a droite ou à gauche. Non ici. J ai les ressources pour affronter ce qui me semble interminable et cauchemardesque. Cette peur pétrifiante, terrorisante, paralysante. Personne ne peut m’approcher, à part Virginie, Ismaël et le chamane qui est pour moi un lutin turquoise. Quand il vient me faire un soin, je le prends dans mes bras. Et petit à petit, je commence a ne plus m accrocher a mes pensées, mon corps commence à se relâcher, mes visions de terreur disparaissent progressivement, la musique entre dans ma nouvelle réalité, l amour et la joie sont là en moi. Je me suis installée près du feu, à écouter la musique et à regarder tous ces êtres. Oscar me sourit et me félicite du regard. Je suis émue et des larmes de joie coulent sur mes joues. Mon coeur est en train de s’ouvrir à la beauté de la vie. Je termine cette cérémonie avec ces nouvelles énergies. J ai gagné une bataille contre mes démons intérieurs. Et je suis fière de mon courage. Les mots ne réussissent pas a exprimer ce que j ai vécu. L’intensité est indescriptible. Je viens de me libérer d’une peur inconsciente, certainement celle de vivre.
Prochain article à paraître – Les révélations : de la 4ème à la 6ème cérémonie
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