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Dans le cadre d’un « défi » local, il m’a été demandé de choisir une rue de Redon et d’en faire une mini-nouvelle de 10 000 signes. Je vous la partage ici.

LA RUE D’ENFER

LA RUE D’ENFER

« La sentence est prononcée ! annonça fermement le juge. Vous êtes coupable d’actes de sorcellerie. Vous serez exilée, à partir d’aujourd’hui, à la rue d’Enfer. Emmenez-la ! » ordonna-t-il en s’adressant à ses quatre hommes de main.

Tous les yeux du public avide de sentences radicales se posèrent sur cette vieille femme, d’un petit mètre cinquante, un peu voûtée par les années passées dans sa forêt. Elle était habillée d’une tunique usée et salie par la terre pour être restée croupir dans une cellule de transition dans les sous-sols de la chapelle Notre-Dame, pendant un temps dont elle n’avait plus la notion. Être enfermée dans l’obscurité d’une cellule l’avait déconnectée du rythme de la nature. Elle ne savait plus quel jour se levait, ni quelle saison se terminait.  Elle se laissa empoigner par les quatre bourreaux pour se rendre au 7, rue d’Enfer. Elle avait été condamnée avant même d’avoir été jugée pour avoir enfreint la loi des hommes, ou plutôt pour avoir montré à l’homme que quelque chose de plus grand existait en dehors de lui. Tout acte de guérison qui se faisait en dehors des actes médicaux réalisés par des médecins était considéré comme de la sorcellerie.

Mais peu importe. Elle savait. Elle savait que la nature pouvait guérir l’homme car n’était-il pas un substrat de cette terre ? Elle savait que certaines plantes avaient des vertus médicinales de guérison et de mieux-être. Elle avait appris en regardant la nature chaque jour, elle avait vu qu’en posant ces mains sur les corps meurtris elle pouvait les soulager de la douleur. Elle ne savait pas d’où cela lui venait, mais elle savait tout simplement.

Elle se laissa entraîner brutalement par les quatre hommes. Elle marcha la tête haute. Elle n’avait pas peur. A la sortie du tribunal, la lumière du soleil lui brûla les yeux. Combien de temps n’avait-elle pas vu la lumière naturelle ? Presque toute la population de la ville de Redon était venue voir cette femme. Comme une attraction. Les gens la huaient, lui crachaient au visage, lui criaient : « Sale sorcière, sale sorcière, crève ! ». Elle ne répondait pas, elle les regardait avec un sourire non dissimulé, même si son cœur saignait. Il saignait de la bêtise de tous ces hommes qui croyaient connaître la vérité. Elle ne répondait pas, elle priait son dieu à elle. Celui qui l’avait missionné pour guérir. Celui qui l’aidait chaque jour à trouver les meilleures plantes pour soulager la douleur. C’était à travers ses rêves qu’elle avait des informations sur les plantes qu’elle devait aller chercher pour soigner. Elle ne savait pas écrire mais elle avait une très bonne mémoire visuelle. Et dans ces rêves, tout lui était montré. La forme de la plante, son odeur, ses vertus, la façon de lui parler, de la préparer. A son réveil, elle marchait dans la forêt où elle avait élu domicile depuis tant d’années maintenant pour trouver ses plantes messagères. Elle leur demandait l’autorisation avant de les couper, puis elle les séchait au soleil, ou quand le temps n’était pas, elle faisait un petit feu. Elle les posait alors sur quelques pierres, le temps qu’elles deviennent très sèches. Puis, elle les mélangeait avec d’autres plantes, les faisait macérer dans de l’eau en suivant le cycle de la lune, et une potion en ressortait. Comme par magie.

Alors, au milieu de cette foule pleine de haine, elle priait pour trouver le moyen de continuer à œuvrer. Bousculée par ses bourreaux « Avance, veille sorcière ! », elles regardaient tous ces gens avec compassion. Elle leur envoyait par la pensée autant d’amour qu’elle se sentait haïe.

Elle traversait la Grand’Rue, cette rue de pavées animée par une certaine légèreté, où les bourgeois allaient faire leurs courses, riaient, bavardaient en faisant fi d’une petite ruelle étroite perpendiculaire dans laquelle se trouvaient quelques bannis de la société. La rue d’Enfer où personne ne voulait y jeter un œil de peur d’être jugé de complicité ou d’être brûlé par le feu de l’enfer par un simple regard.

Quand ils arrivèrent à l’entrée de la rue d’Enfer, un des bourreaux la poussa violemment. Elle tomba sur la pierre qui ornait le sol de cette rue étroite qui paraissait, d’un premier abord, sombre, obscure, éteinte et sale. Elle se releva comme elle put, sentant des regards curieux à travers les portes fermées. Elle sentait, derrière cette atmosphère douteuse, une énergie de protection. Elle ne pouvait l’expliquer, mais au-delà des apparences, quelque chose de divin était présent dans cette ruelle. Les gens ordinaires ne pouvaient pas la comprendre. Ils craignaient Dieu. Ils le suppliaient, l’insultaient quand ils souffraient, oubliaient de le remercier quand ils étaient bien. « Pauvres pêcheurs. Pauvres âmes perdues » était le discours qu’ils entendaient chaque dimanche à la messe. Mais elle, elle n’était pas perdue. Elle ne suppliait pas, elle demandait. Peu importe où elle se trouvait. Que ce soit dans sa forêt entourée des êtres de la nature qu’elle avait ce don de voir, ou dans cette ruelle puante, elle savait qu’elle n’était jamais seule. « Voilà ton logis sorcière » lance un des bourreaux. Elle le reconnu. À sa voix. Elle lui avait sauvé la vie quand il était môme d’une horrible maladie infantile qui donnait des boutons partout et qu’aucun médecin n’arrivait à soigner. Elle l’avait veillé des jours et des nuits, faisant des cataplasmes d’herbes sur son petit corps endolori. Une femme était venue un jour la voir dans sa cabane, au fin fond de la forêt avec un enfant dans ses bras brûlant de fièvre. Elle lui avait demandé de tout faire pour le sauver. Elle l’avait fait. Elle l’avait sauvé. Elle le reconnaissait vingt ans plus tard. Lui non plus ne l’avait pas oublié. Elle pouvait le lire dans ses yeux. Elle le regarda un instant pour lui dire en silence qu’elle comprenait, qu’elle ne lui en voulait pas, que la vie était ainsi. C’était son métier à lui. Le métier ne faisait pas l’âme de la personne. Il ouvra la porte d’entrée du numéro 7 de la rue d’Enfer. Une veille porte en bois bouffée par les termites laissant apparaître des trous ici et là. « Entre, sorcière, c’est là que tu vas désormais croupir ». Elle entra et la porte se referma presque immédiatement. Elle découvrait son nouveau lieu de résidence. Terre battue au sol, de vielles poutres décorées par des toiles d’araignées, un petit cercle de pierres au milieu de la seule pièce, et un peu de bois qui avait dû être utilisé par l’ancien pensionnaire pour se chauffer, une petite bougie usée. Pas d’ouverture sur l’extérieur. Ça sentait la pisse. La mort. La fin. Un balai construit avec les moyens du bord était en équilibre contre le mur de pierres du fond. Elle le prit et passa un petit coup, comme pour s’approprier ce nouveau lieu, faisant voler une poussière de terre éternelle. Rien pour dormir, rien pour s’asseoir. Une seule pièce de rien.

Mais elle avait tout. Pas besoin de confort pour se sentir être. Pas besoin d’être reconnue pour œuvrer. Elle avait cette richesse du cœur et surtout cette foi. Même si son destin était d’être brûlée sur un bûcher, elle était en paix. Elle avait toujours agi par conviction et par intuition.

Elle voulut partir à la découverte de cette rue et de ses voisins. Qui étaient-ils ? Qu’avaient-ils fait pour être exilés dans cette rue ? Elle ouvra la lourde porte d’entrée qui n’était pas fermée à clé et s’aventura à l’extérieur. Ils avaient a priori le droit d’errer le long des trente mètres de la rue d’Enfer de la Grand’Rue à la rue Duguesclin. Deux hommes étaient postés chaque jour et chaque nuit aux deux extrémités pour les empêcher d’avoir envie d’aller plus loin. La rue était vide. Elle frappa à la porte en face au numéro 4. Un jeune homme d’une quarantaine d’année l’accueilli avec un grand sourire édenté. Elle remarqua qu’il avait une main en moins, mal cicatrisée. Il la fit entrer dans son humble demeure d’exil. Il l’invita en silence à s’installer sur une sorte de tabouret qu’il avait sûrement fabriqué lui-même. Lui, prit place sur les rebords en pierre d’une cheminée qui n’avait pas servi depuis longtemps.

          — T’es arrivé tanto ? demanda-t-il d’une voix sourde.

          — Oui. Et toi, t’es là depuis combien de temps ?

          — Oh, je compte plus. À un moment, je faisais des marques dans la terre pour compter chaque jour qui passait, mais ça me déprimait trop. J’ai arrêté. Je me suis fait une raison, comme disent les autres.

          — Et tu es là pourquoi ?

          — Longue histoire ma p’tite dame. En gros, j’étais écrivain. J’ai écrit un ouvrage, Le couvent des damnés, qui dénonçait les pratiques ecclésiastiques de notre temps. Ils ont brûlé tous mes livres, m’ont coupé la main droite et m’ont mis en exil ici. Mais j’ai plus d’un tour dans mon sac, ma p’tite dame. J’ai fabriqué une plume pour écrire avec un morceau de bois et une plume de pigeon. La terre et l’eau me servent d’encre. Je continue à écrire, mais de la main gauche. Y a un p’tit gars qui m’emmène du papier de temps à autres et quelques trucs du genre pour que je continue à m’adonner à ma passion. L’écriture c’est toute ma vie, tu vois.

          — Oui, je vois. C’est qui ce p’tit gars ?

          — Oh, un gars qui vient nous donner à manger. Tu l’as p’t’-être vu dans les quatre hommes qui t’ont emmené ici. Sinon, tu vas l’voir tanto. Il va passer. Demande lui ce dont tu as besoin, il te les procurera quand il sera de service.

          — Grand merci. Je pense savoir qui est ce p’tit gars. Je peux regarder ta main droite ? T’as mal ?

          — Des fois, oui, ça me lance. Comme si ma main était encore là et qu’elle avait besoin de s’agiter. Alors je secoue mon bras, comme ça, dit-il en faisant le geste.

Elle posa ses mains à l’endroit où la main de son hôte n’était plus. Elle ferma les yeux et se laissa guider par l’énergie. Au bout d’une quinzaine de minutes, elle ouvra les yeux et croisa le regard étonné de ce jeune homme.

          — T’es une sorcière, toi ! J’ai plus mal ! J’ai plus mal !

Il se lève et se mit à danser dans la pièce de son logis.

          — J’ai plus mal ! Merci, merci, merci. Tu vas voir, ici c’est pas pire. Je vais te faire rencontrer les autres, au numéro 9, y a un peintre, au 3, un crieur de rue, au 5 un tisonnier. À nous tous, on va créer notre rue du Paradis ! Parce l’Enfer n’est-il pas juste pour ceux qui y croient ?

                                                                                              Gaelle HAYERE

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